On parle du Bien-être au Travail, on en parle de plus en plus. Le sujet de cette attention est, d’un point de vue théorique, les « travailleurs.ses ». Dans la réalité des faits, ce sont les salariés qui sont adressés. On n’y parle très peu du dirigeant, on n’en parle même…. Jamais.
Pourquoi le Bien-être du Dirigeant n’est-il pas un sujet ?
Le statut peut contribuer à expliquer « rationnellement » les choses. 80% des Dirigeants sont « TNS » (Travailleurs Non Salariés), gérants d’entreprises souvent patronymiques.
Pour ceux-ci, jusqu’à ce que les réformes santé – travail ne les considèrent (l’an dernier), pas de suivi médical par les Services de Santé au Travail, pas de prévention à leur égard si ce n’est profiter des messages adressés aux équipes salariées.
Il n’y a pas de cadre juridique, d’obligation réglementaire de surveillance, de prévention, d’accompagnement pour les dirigeants non-salariés. Au mieux, leurs assureurs ont bien fait leur métier, les couvrant par des contrats IJ (Indemnités Journalières), Homme-Clé… On notera que certains rares experts comptables (vus souvent comme les « médecins de famille » du dirigeant) sont sensibles au sujet, et prennent la parole pour alerter leur interlocuteur-client sur son état.
Alors qui peut traiter le sujet,
si ce ne sont pas les organes officiels de prévention et la loi ?
Les syndicats et réseaux patronaux ont un cœur de métier axé sur le lobbying, le business, l’information bien fréquemment d’ordre réglementaire, et sont des organes de lien social et d’entraide pour les dirigeants bien souvent isolés. La question de leur santé est rarement abordée, parce qu’elle n’est pas un passage obligé… et soyons honnête, parce qu’elle n’est pas évidente à aborder, parce qu’elle touche l’intime.
Culturellement, il y a un vrai « hic ». Liée à l’image du patron. Ce héros, demi-dieu, qui est tout sauf la « victime » à considérer et protéger. Il est fort, il est entrepreneur, il fonce, il n’a pas droit à l’erreur. Voire pire, c’est un « bourreau », un méchant, un égoïste… qui a les moyens de prendre soin de lui.
Dans la réalité, le taux de suicide pour mal-être au travail est plus important chez les dirigeants que chez les salariés, mais cela se sait peu. L’agriculture fait exception, on en parle davantage, mais le paysan éveille une affection plus naturelle chez les français qu’un patron de boîte d’informatique ou la nana qui tient une boutique dans une zone commerciale. Alors des services se montent depuis quelques années, pour « quand c’est quasi trop tard », en mode curatif et secours (comme Apesa lié aux Tribunaux de Commerce). C’est bon, c’est bien, ça grandit… mais encore une fois on est sur une vision pathogène de la santé au travail des patrons, et pas dans la prévention – l’éducation, la sensibilisation… l’avant, quoi.
Et puis, « si c’était un sujet, ça se saurait » : il n’y a pas ou peu d’études pour donner de l’importance à la question du bien-être du dirigeant. Les mutuelles commencent à s’y mettre (Harmonie en 1er), on évoquera l’observatoire Amarok initié par Olivier Torres qui est très actif et médiatise autant que possible, et quelques réseaux de dirigeants (en 1ère ligne, le mouvement des patrons humanistes, le CJD) et syndicats (Medef) commencent à s’y mettre. Des centres d’étude (Cairn Info), à la marge. Et puis des fer de lance, comme Philippe Rodet, ou certains médecins du travail qui ont ouvert les yeux sur le sujet et décentré leur attention de la seule considération pour la cause salariale. J’oserais même aller jusqu’à dire que certains syndicats salariés commencent à considérer la systémie de la situation, et établir un lien entre la santé de leur boss et de leur cible initiale, leurs adhérents.
Dans les réponses glanées à la question initiale : « Pourquoi le Bien-être du Dirigeant n’est-il pas un sujet ? », on entend aussi que le profil-même du dirigeant est une explication.
– Majoritairement masculin, ce métier, des hommes avec moins de « yin » c’est-à-dire moins tourné vers leur monde intérieur, moins expressif sur leurs émotions…
– Beaucoup de techniciens parmi les dirigeants, à qui l’on n’a pas appris lors de leurs écoles technologiques / d’ingénieur les éléments majeurs de la psychologie humaine, qui n’ont pas dans leurs plans de formation de modules de développement personnel… (c’est presque drôle à écrire, tellement cela semble irréaliste de l’imaginer).
– Alors que tout l’entourage déverse sa projection de personne « forte », le dirigeant s’applique cette obligation morale, comme s’il s’auto-imposait d’être fort, d’être un modèle… Et lorsque certains ont une valeur « exemplarité » puissante, le besoin interne de tenir le coup est encore plus actif. Alors, hors de question d’oser dire « ça va pas »…
Et puis tout ça, c’est aussi un peu de la faute des dirigeants ! Eux qui sont bien souvent seuls, taciturnes sur leurs ressentis et inquiétudes, pas habitués à demander de l’aide, à faire savoir leur vulnérabilité. Oui, s’ils la ramenaient davantage, le sujet se saurait davantage.
Alors, … au Dirigeant d’être responsable de lui-même ! Comme tout travailleur. Et à lui d’implanter le sujet dans le paysage.
Pourquoi c’est non négociable d’avoir un patron en bonne santé ?
On ne pose pas cette question, c’est fou. Soit le dirigeant se débrouille avec sa santé, soit on constate qu’il l’a perdue. Pourtant, la santé du dirigeant est un sujet majeur, j’ose : stratégique.
Portons d’abord un regard humaniste :
sur la personne physique
qu’est ce chef d’entreprise.
N’a-t-il pas droit à une considération humaine tout simplement ? Celle du respect de sa vie.
N’est-il pas un travailleur lui aussi au sein de son entreprise ? Contribuant à l’atteinte des objectifs collectifs et à la réalisation de la mission de l’entreprise ? Dont la valeur ajoutée est donc dans l’équation de la masse productive….
Et enfin, le travail doit-il être un lieu de souffrance pour lui ? N’a-t-il pas droit à un équilibre entre l’énergie accordée aux efforts et le plaisir qu’il en retire ? Etre patron le condamne t’il à laisser sa santé ?
Et puis portons un regard plus intéressé : sur la personne morale qu’est l’Entreprise.
Le peu d’études réalisé a démontré que la santé de l’entreprise était directement liée à la santé de son dirigeant. Un patron qui déprime, la boîte plonge. Un patron en colère, la boîte vit des crises. Un patron absent, et l’entreprise boîte (pardon pour l’humour douteux). Car l’état du patron génère un impact opérationnel et économique évidemment, sur les performances de sa boutique.
Et n’oublions pas que l’entreprise est un regroupement d’Hommes. Que l’état de son chef a un impact social, sur le bien-être de l’équipe, de l’équipe rapprochée en 1er lieu, mais de l’ensemble du personnel infine. Un patron qui n’a plus d’énergie et qui n’y croit plus aura de franches difficultés à maintenir la motivation des troupes.
Alors on fait quoi ?
1. On sensibilise les dirigeants : on les éveille, on les cultive, on leur dit et répète qu’ils sont un sujet pour la société et pour eux-mêmes.
– On leur suggère une démarche personnelle à base de lectures, de formations, d’échanges. On les invite à des conférences, des congrès, des séminaires où on parle de ce sujet tabou.
– Et puis on utilise l’obligation légale en matière de prévention santé-travail, ou les encourage à s’inscrire dans la démarche de leur entreprise en matière de QVT – comme nous pouvons le faire chez Wunjo.
2. On les invite à s’interroger, à procéder à des évaluations pour mettre de la hauteur, de distance sur leur situation. A mettre de l’objectivité dans la subjectivité.
– Certains auto-tests sont proposés depuis peu. Beaucoup orientés « moral » (comme celui très récent de la fondation Entreprendre) ou « détection du burn-out » (valables quelque soit le statut, avec en référence la militante Marie Pezé)
– Le corps médical stricto-sensu qui reçoit et accompagne des êtres humains dans leur sphère professionnelle est aussi là pour ouvrir le champ de la considération de la santé, abordant le vécu du travail, reroutant de plus en plus vers les professionnels du champ psychosocial (coach et psychologues).
Nous, intervenants en santé-travail, rêvons que chaque dirigeant se fixe – ne serait-ce que – 3 ou 4 indicateurs de son état de santé, et les surveille régulièrement, façon ‘hygiène vitale’. Et s’ouvre à écouter son entourage, tant personnel que professionnel, faisant preuve de bienveillance à l’égard de son proche, au statut de dirigeant.
3. Enfin, on les invite à agir. A s’imposer une hygiène de vie, autour de l’équilibre nécessaire à leur survie et à leur qualité de vie. A se former, autant que nécessaire, pour combler le gap de culture et de sensibilisation au sujet. Et à se faire accompagner, autant que possible, pour élargir leur vision des choses et les possibilités d’activation de leviers.
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L’ère COVID a épaissi le trait de la question du bien-être. En général. Donc aussi en particulier pour nous autres, dirigeants. Ensemble, faisons en sorte que ce sujet soit considéré comme une question de société.
Merci à COBATY Tarn-et-Garonne et à son Président, Fabrice Vales, d’avoir posé le sujet et créé l’espace de la discussion avec ses adhérents. Et d’avoir ainsi créé l’impulsion d’écrire cet article, militant je le concède, engagé et exposant ma vision personnelle du sujet.
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